Le retrait des glaces wisconsiniennes, les Grands Lacs, la Mer de Champlain, et le fleuve Saint-Laurent.
Les glaciers laissent des dépôts sédimentaires : moraines reliées aux mouvements de la glace et dépôts fluvio-glaciaires
reliés aux eaux de fonte. Les moraines frontales, entre autres, sont de bons indicateurs de la position du front glaciaire.
Par conséquent, avec de bonnes datations de ces moraines, on peut retracer les mouvements d'un front glaciaire.
Par ailleurs, on sait que la charge du glacier déprime la croûte terrestre et, lors de la fonte, la remontée du terrain
par rééquilibrage isostatique n'est pas instantanée mais se fait graduellement, laissant une dépression pro-glaciaire. Les
eaux de fonte du glacier s'accumulent dans ces dépressions qui sont à la fois le résultat du creusement par le glacier et
de la surcharge imposée au terrain pour former des lacs pro-glaciaires.
Les dépôts sédimentaires (sables, graviers, boues) dans ces lacs contribuent aussi à retracer l'histoire des mouvements
du front glaciaire, pour peu qu'ils soient bien datés. Ces datations sont faites principalement par la méthode du Carbone
14, mais aussi par d'autres méthodes comme la dendrochronologie (anneaux de croissance des arbres) et le paléomagnétisme (inversions
magnétiques).
C'est ainsi qu'on a pu reconstituer l'histoire du retrait du front glaciaire à la fin du Wisconsinien - début de l'Holocène,
retrait qui a commencé il y a une quinzaine de milliers d'années. La série de cartes qui suit relate cette histoire qui est
aussi celle des Grands Lacs nord-américains, de la Mer de Champlain et du fleuve Saint-Laurent. A noter qu'on a indiqué comme
points de repères sur ces cartes, le contour actuel de la Baie James (au nord), des Grands Lacs, du fleuve Saint-Laurent et
son estuaire, du lac Champlain et du lac Saint-Jean. Ces cartes on été redessinées à partir de Prest, K.V., Géologie du Quaternaire
au Canada, in Géologie et Ressources minérale du Canada, Commission géologique du Canada, 1972.
Il y a quelques 14 000 ans, la marge de la calotte glaciaire se situait au sud des Grands Lacs actuels, lesquels n'existaient
pas encore. La calotte commençait à fondre et sa marge à retraiter, sauf pour une petite langue qui avançait à l'ouest (flèches
bleues). Deux lacs pro-glaciaires se développaient, dont le lac Maumee (les géologues ont donné des noms à ces lacs éphémères
qui n'ont duré au plus que quelques milliers d'années, quelques centaines d'années même pour certains). Pratiquement tout
le drainage se faisait vers le centre du continent, c'est-à-dire vers le Mississippi.
1500 ans plus tard, soit il y a environ 12 500 ans, le front avait retraité passablement vers le nord, mais ce qui est
aujourd'hui la vallée du Saint-Laurent demeurait toujours recouvert de glace. Plusieurs lacs s'étaient formés et le gros du
drainage se faisait encore vers le sud.
Il y a 12 000 ans, le retrait de la glace continuait sa progression et le drainage se faisait toujours vers le sud.
A l'ouest, un très grand lac s'établissait, un lac aujourd'hui disparu qu'on a appelé le Lac Agassiz, du nom d'un grand géologue
qui a énormément contribué à notre compréhension des phénomènes glaciaires. A l'est, se dessinaient les ancêtres des lacs
Ontario et Érié (de là le terme de proto).
A l'échelle de l'Amérique à ce moment, l'inlandsis Laurentidien avait régressé passablement et il existait un passage entre
celui-ci et le petit inlandsis de la Cordillère. Plusieurs s'accordent à dire que c'est ce passage qu'auraient utilisé les
premiers hommes venus de l'Asie pour peupler les deux Amériques.
200 ans plus tard, il y a 10 800 ans, le front de glace a retraité au nord de ce qui est aujourd'hui la vallée du Saint-Laurent.
La dépression au front de la glace se trouvait sous le niveau de la mer et fut par conséquent envahie par les eaux salées
marines. C'est la naissance de la fameuse Mer de Champlain. Pour la première fois, une partie du drainage se fait vers l'est, c'est-à-dire vers cette Mer de Champlain.
Il y a 9000 ans, le front de glace avait migré encore plus au nord. Un bras de mer envahit la vallée du Saguenay et le
Lac Saint-Jean; c'est ce qu'on a appelé le Golfe de Laflamme (en l'honneur de Mgr J.C.K. Laflamme, trois fois recteur de l'Université Laval, professeur de géologie de 1871 à 1910 et
auteur du premier manuel de géologie en langue française en Amérique). Les Grands Lacs commencaient à s'individualiser. La
croûte continentale se réajustait, en remontant, et la Mer de Champlain retraitait déjà.
Il y a 8200 ans, le front de glace s'était déplacé encore plus au nord et il s'était formé un grand lac aujourdhui disparu,
le lac Ojibway. Trois lacs préfiguraient les Grands Lacs actuels : les lacs Houghton, Stanley et Chippawa. La remontée de
la croûte avait pratiquement chassé la Mer de Champlain et le Golfe de Laflamme. Il ne restait qu'un cours d'eau qui assurait
le drainage vers l'est, le fleuve Saint-Laurent, avec l'ancêtre du Lac Saint-Pierre, le lac Lampsilis. A l'ouest, le lac Agassiz
s'était asséché; il nous est connu aujourd'hui par les dépôts qu'il a laissé.
400 ans plus tard, il y a 7800 ans, l'eau salée marine envahissait, au nord, une dépression sous le niveau de la mer pour
former ce qu'on a appelé la Mer de Tyrrell, l'ancêtre de la Baie d'Hudson.
Finalement, il y a 6000 ans, la glace était loin de nos régions.
Les Grands Lacs Nipissing préfiguraient les Grands Lacs actuels Supérieur, Michigan et Huron, et le drainage se faisait
comme aujourd'hui, en partie vers le sud et en partie vers le Saint-Laurent. On voit donc que, contrairement à la croyance
populaire, la Mer de Champlain et le fleuve Saint-Laurent sont des structures très jeunes d'un point de vue géologique.