Depuis 1927, la théorie prédominante quant à l'origine des humains
en Amérique du Nord est celle de la migration via de détroit de Béring.
Le terme «Béringie» a été inventé en 1937 par le botaniste suédois Eric Hulten.
Après avoir observé une remarquable similitude entre les plantes des deux rives du détroit de Béring, il a avancé l’idée
que la Sibérie et l’Alaska avaient un jour été reliées par une bande de terre. La Béringie tire donc son nom du détroit
de Béring et fait référence au sous-continent qui s’étendait de la rivière Lena en Sibérie au fleuve Mackenzie dans
les Territoires du Nord-Ouest. Ce continent a été créé à l’époque glaciaire, au cours de laquelle d’énormes couches
de glace recouvraient la quasi-totalité de l’hémisphère Nord. Ces couches de glace renfermaient une bonne part de l’eau
de la planète et ont provoqué une baisse du niveau des océans, allant parfois jusqu’à 125 mètres. C’est ainsi
que la bande de terre qui formait la Béringie s’est retrouvée émergée. Nous savons que cet événement a vraiment eu lieu
parce que les échantillons du sol provenant du plateau continental contiennent des restes de vie végétale qui ont déjà poussé
sur un sol sec. Cette vaste étendue de terre battue par les vents abritait bon nombre de nos animaux modernes, en plus de
ceux qui ont disparu.
Les époques de la Béringie
L’époque
glaciaire n’est que l’un des plus récents chapitres de la longue histoire climatique du monde. À l’échelle
géologique, il s’agit du Pléistocène. Il y a environ deux millions d’années, des glaciers continentaux, ou inlandsis,
se sont formés et ont couvert à plusieurs reprises une bonne partie de l’hémisphère Nord. Le Pléistocène a été ponctué
de périodes plus chaudes, ou interglaciaires, qui ont duré parfois des centaines de milliers d’années. Au cours du Pléistocène,
les glaciers recouvraient le nord de l’Amérique du Nord et de l’Europe et une petite partie de l’Asie. Les
grandes couches de glace de l’Amérique du Nord étaient constituées de l’Inlandsis de la Cordillère, qui partait
des montagnes de l’Ouest, et de l’Inlandsis laurentidien, qui partait du centre du nord de l’Arctique. Des
glaciers de montagne s’étendaient aussi des Appalaches et d’autres montagnes de l’Est. La dernière grande
période glaciaire d’Amérique du Nord, appelée glaciation du Wisconsin (ou glaciation McConnell), remonte à entre 70 000
et 10 000 ans. La glaciation du Wisconsin tire son nom de l’État du Wisconsin, où l’on a trouvé des
traces très bien préservées de cette glaciation. Les régimes climatiques et la végétation modernes se sont établis au cours
des 10 000 dernières années (en termes géologiques, il s’agit de l’Holocène). Bon nombre de scientifiques
estiment que la vague de chaleur actuelle ne serait qu’un autre interglaciaire.
Le climat de la Béringie
La plus
grande partie de la Béringie, du centre du Yukon vers l’ouest jusqu’en Alaska et en Sibérie, était recouverte
de prairies arides. Cette «steppe à mammouth» s’étendait encore plus loin vers l’ouest et traversait le sud de
l’Europe jusqu’à l’océan Atlantique. Au cours de la dernière période glaciaire, la Béringie n’a pas
été recouverte de glace étant donné que le climat y était trop aride pour favoriser la formation des glaciers. Plusieurs facteurs
ont joué un rôle déterminant dans le maintien de cet environnement hors du commun.
Des champs de glace formaient les abords de la Béringie au Yukon et en Alaska. La pluie et la neige
tombaient contre la cime des glaciers, laissant leurs flancs du côté opposé à l’océan au sec. De nos jours, le même
effet se produit dans les champs de glace des monts St-Élie et rend le climat du sud-ouest du Yukon extrêmement sec.
Même là où il n’y avait pas de glacier, les hautes montagnes qui allaient du Yukon jusqu’au
centre de l’Asie provoquaient ce même effet de protection contre la pluie. La forêt qui existe aujourd’hui n’aurait
pu survivre dans des conditions aussi arides. L’herbe poussait en abondance, mais le sol était nu par endroit. La terre
brune et chaude était réchauffée par les rayons du soleil, et la très mince couverture de neige en hiver permettait aux animaux
de brouter toute l’année.
Les premiers humains
On croit que la Béringie a été le point
d’entrée dans le Nouveau Monde, dernière masse continentale colonisée par les humains. L’expansion de populations
humaines en Béringie de l’Est s’est produite à l’époque que les archéologues appellent le Paléolithique
supérieur (ou la fin de l’âge de pierre). Cette période de l’histoire de l’humanité, qui remonte à entre
40 000 et 10 000 ans, correspond à l’apparition des premiers êtres humains modernes (Homo sapiens
sapiens).
La capacité d’adaptation des humains à la steppe à mammouth s’est appuyée en partie
sur un ensemble d’innovations culturelles et technologiques de la période du Paléolithique supérieur. D’importance
capitale, l’instauration d’une organisation sociale évoluée a permis la transmission des idées et des connaissances
parmi de petits groupes dispersés sur une grande échelle. Les formes complexe d’art du Paléolithique sont, essentiellement,
une forme de communication par symboles. C’est aussi l’époque du développement de la tradition orale, qui servira
de moyen de codification de l’information vitale. Les mythes et les légendes de bon nombre de cultures autochtones modernes
sont riches de connaissances essentielles sur le paysage, les ressources animales, les techniques de survie et les règles
de vie en société.
Les technologies qui sont la marque du Paléolithique supérieur de l’Eurasie-Béringie comprennent
notamment des vêtements taillés, des techniques de traitement, de conservation et d’entreposage des aliments, des habitats,
la maîtrise du feu, des techniques de chasse, y compris les techniques d’encerclement du gibier et les battues, et la
pêche. La boîte à outils de l’époque contenait plusieurs types de pierres et d’instruments fabriqués à partir
d’os, qui montrent des tendances à l’innovation, comme la miniaturisation et l’uniformisation. Ces traits
culturels et technologiques que recèlent les objets archéologiques nous permettent de mesurer les réalisations des Béringiens
du Paléolithique supérieur, qui étaient aussi les premiers Américains.
a) Confectionnées il y a plus
de 20 000 ans, les figurines de Vénus ont été trouvées dans de nombreux sites de la période glaciaire en Europe
centrale, de l’Est et de l’Ouest et jusqu’aux limites orientales de la Sibérie centrale.
b) Les peintures des grottes
de la fin de la période glaciaire reflètent des liens étroits entre les chasseurs et la faune du biome de la steppe à mammouth
d’Eurasie. Les peintures rupestres les plus connues sont en Europe de l’Ouest; de piètres facteurs de conservation
expliquent probablement leur absence de la Béringie et de la Sibérie.
c) Découverts sur un site de
la rive est de la rivière Yenesei en Sibérie centrale et âgés d’environ 18 000 ans, les outils sont des instruments
composites faits de bois, d’os ou d’ivoire dont le tranchant a été fabriqué par l’insertion dans de minces
sillons d’une série de microlames de silex ou de chailles.
d) Autres indices qui témoigneraient
de contacts lointains avec l’Eurasie, de petites sculptures ont été retrouvées aussi loin à l’est que sur les
rives du lac Baïkal, en Sibérie. Âgées de 24 000 ans, elles sont composées en bonne partie de représentations d’humains
de petite taille (des femmes le plus souvent) et de sculptures miniatures d’oiseaux et rappellent l’art paléo-esquimau,
beaucoup plus tardif, de l’Arctique canadien ainsi qu’une variété d’objets décoratifs. Fait particulièrement
intéressant, certaines de ces figurines humaines nous montrent les détails du type de vêtements que portaient les chasseurs-cueilleurs
de l’Eurasie orientale à la période glaciaire.
e) La survie aux limites nordiques
du biome à mammouth de l’âge glaciaire était largement tributaire de la capacité des humains à construire des abris
convenables pour passer l’hiver. Des traces de tels abris, parfois soutenus par des os de mammouth (semblable aux structures
de fanons de baleine des Esquimaux Thulé), ont été retrouvées principalement dans la partie euro-orientale du biome à mammouth.
f) La gravure sur os de mammouth
Berelekh remonte à la fin de l’âge glaciaire (il y a un peu plus de 10 000 ans) et correspond aux traces les
plus au nord-est de la Sibérie de la longue et complexe tradition artistique qui reflète une partie des réalités de la faune
du biome à mammouth eurasien.
g) Les archéologues ont découvert
que les détenteurs de la technologie des microlames et des burins de l’âge glaciaire n’étaient pas seuls en Béringie
orientale et qu’il existait déjà une assez grande diversité technologique aux confins est du biome à mammouth. Il y
avait en fait d’autres groupes de premiers Américains, dont les origines sibériennes restent obscures, et dont les aires
de distribution connues vont de la région centrale intérieure de l’Alaska à l’extrémité nord des monts Ogilvie,
au Yukon. Désignés sous le nom de Nenana, d’après l’emplacement des premiers sites découverts en Alaska,
ces groupes sont caractérisés par une technologie fort différente, composée en bonne partie d’outils nucléiformes et
de grattoirs, de grandes lames, de bifaces et de pointes triangulaires finement travaillées ainsi que d’une variété
d’instruments en ivoire.
h) Des artefacts des grottes
de la Bluefish sont parmi les plus anciens de ce genre jamais découverts dans le Nouveau Monde. Désignés sous l’appellation
de Paléo-arctique américain (Dyuktai en ce qui concerne leurs équivalents sibériens), ils remontent à au moins 13 000 ans
et sont caractéristiques de la technologie des microlames et des burins qui, au dernier millénaire de la période glaciaire,
s’est répandue de la Sibérie centrale et de la Mongolie à la Béringie orientale et au nord du Yukon. Comme dans le cas
des outils polyvalents sibériens, les microlames étaient probablement incrustées dans des os ou des bois et les burins servaient
à travailler les os, les bois et l’ivoire, et peut-être même à sculpter de petites figurines.
Grottes de la Bluefish
Ce site archéologique est le plus important non
seulement du nord du Yukon, mais d’Amérique du Nord. Les restes trouvés à cet endroit dans les années 1970 et 1980 indiquent
qu’il a été visité par intermittence au cours des 15 000 à 25 000 dernières années.
Les trois petites grottes de la Bluefish sont situées dans le nord du Yukon, à 50 kilomètres au
sud-ouest d’Old Crow. Elles sont à la base d’une crête de calcaire à mi-parcours de la rivière Bluefish, à environ
200 mètres au-dessus du plancher de la vallée.
Les preuves recueillies à ce jour indiquent que sur une période d’environ 15 000 ans,
les grottes de la Bluefish ont été visitées à répétition pendant de courtes périodes par de petits groupes de chasseurs.
La fin de la Béringie
La fin de la période glaciaire commence il y a
environ 14 000 ans, alors que le climat se réchauffe. Le niveau de la mer augmente avec la fonte des glaciers et
les régions plus basses que le niveau de la mer, dont la Béringie centrale, sont inondées. À mesure que les précipitations
augmentent, la tourbe et les petits arbres se mettent à pousser. Ce rétablissement de la forêt provoque le déclin de la productivité
de la Béringie. Les prairies nourricières de la steppe à mammouth disparaissent et, avec elles, les hordes d’animaux
brouteurs, tels que le mammouth, le cheval et le bison des steppes, ainsi que les prédateurs qui se nourrissent de ces animaux
comme l’ours à face courte géant, le lion, le chat des cavernes et le loup menaçant. Avec la fin de la période glaciaire,
la Béringie et les géants qui l’ont habitée ne survivent que dans les légendes et enfouis dans le sol, congelé. La fin
de la période glaciaire est marquée par des changements catastrophiques.